NUNA selon la jeunesse nunavimmiut aujourd’hui : filmer son territoire pour mieux le conterNUNA FINAL RENDU

Projet co-porté par Laine Chanteloup, Fabienne Joliet et Thora Herrmann.

La sédentarisation et l’évolution des modes de vie ont profondément transformé le rapport au territoire des Inuit. Si aujourd’hui, les différentes générations se côtoient et évoluent dans l’espace commun des villages, leur rapport au territoire, leur structure mentale de ce qu’est le territoire et donc leur construction personnelle et culture en lien avec celui-ci diffèrent fortement entre les aînés et les jeunes.

Entretien avec les membres du projet NUNA

I) Qu'est-ce que le projet "NUNA"? 

Le programme de recherche "NUNA" propose d'éclairer par les images et les mots Inuit le visage contemporain, ce que recouvre aujourd'hui Nuna au Nunavik, les modes de territorialité qui se dessinent entre tradition et altérité et d'appréhender différents modes de naturalité en contexte de création de parcs nationaux. Territorialités autochtones et allochtones sont supposées co-exister, s'emboiter, se former et déformer. Quelles sont concrètement les formes et le sens de la territorialité Inuit contemporaine ? Il est question d’interroger cette territorialité contemporaine Inuit, au sens donné par Bonnemaison (1981) : saisir « la vision culturelle et émotionnelle de la terre ». 

Sur le plan méthodologique, appréhender la territorialité autochtone par la recherche occidentale est une gageure tant elle reste associée à la colonisation (Tuhiwai-Smith, 2012). Nous inscrivons nos travaux dans le cadre de la théorie ancrée se fondant sur des méthodes intégratives et intuitives, en réhabilitant les vertus de l’empirisme comme source d’information initiale et itérative. La théorie ancrée « vise la découverte de perspectives théoriques à partir de la réalité telle qu’elle est vécue sur le terrain. Sous cet angle, la réalité est constamment construite par les autochtones, la tâche du chercheur consiste alors à étudier ces construits sur la base de leurs représentations » (Truchot V. en ligne). C’est à partir du « dedans », et par le moyen de l’image Inuit comme possibilité de montrer leur territoire et de commenter leur attachement, que nous tentons de dégager rétroactivement une « typologie interne » de leurs relations au territoire qui soit l’expression de leur cosmologie.

A cette fin, un 1er volet du programme de recherche "NUNA", mené de 2014 à 2016, a reposé sur un travail de recherche autour de photographies de paysages prises par les habitants de différentes communautés au Nunavik, travail qui avait été initié par F. Joliet dès 2008 et soutenu par l’IPEV. Toutefois, pour ce volet de recherche, peu d’adolescents Inuit/Cris ont participé. Or, la pyramide des âges actuelle est caractérisée par un profil très particulier : 65% des adultes sont âgés de moins de 29 ans et 35% de la population du Nunavik a entre 0 et 14 ans. Or, la vision de la jeunesse à l’égard du territoire est très différente de celle des adultes et des Aînés en raison de la transformation des mobilités, des pratiques liées au territoire et des lieux de naissance (les Aînés sont nés en tente alors que les jeunes naissent aujourd’hui dans les villes du sud ou au sein des communautés). C’est pourquoi, lors des travaux de l’APR 2015 et 2016 déposé auprès de l’OHMi, une nouvelle méthode de collecte de données a été envisagée : l’organisation d’ateliers vidéo auprès du public adolescent afin de capter leur relation au territoire, à "Nuna" (volet 2).

a) Premier volet: 2014-2016

image 1.1Le 1er volet de recherche du programme "NUNA" a obtenu le soutien de deux Appels à Projet de Recherche (APR) de l’Observatoire Hommes-Milieux du Nunavik - Tukisik et un post-doctorat. Ce volet visait à développer une recherche initiée par F. Joliet depuis 2008 qui avait organisé des concours photographiques au sein des communautés d’Umiujaq, de Kuujjuarapik et de Whapmagoostui. Le post-doctorat de Laine Chanteloup, financé par l’OHMi Nunavik, a approfondi la matrice d’images collectées initialement en allant réaliser des entretiens (16 entretiens réalisés à Umiujaq et 15 à Kuujjuarapik/Whapmagoostui) autour des photographies soumises lors des concours. Ce travail a également permis de compléter la matrice d’images en collectant 82 nouvelles images Inuit et Cris du territoire.

Un premier rendu sous forme de deux diaporamas de 20 minutes a été réalisé auprès des communautés d’Umiujaq, de Kuujjuarapik et Whapmagoostui de 2014 à 2016. Ces diaporamas agencent les images et les commentaires et sont accompagnés par de la musique, ils sont diffusés sous un format vidéo. Ce type de rendu a été choisi afin de réaliser un retour aux communautés du travail de recherche mené (les articles scientifiques seront également partagés, tout comme d'éventuels posters, cependant ce type de valorisation scientifique est difficilement appropriable par les habitants des communautés): ce retour a été pensé comme un outil/livrable utile aux communautés et donc adapté au travail interculturel mis en œuvre. Ces diaporamas ont en effet pour vocation d’être offerts aux différentes communautés qui pourront s’en servir au sein d’un centre culturel ou lors de manifestations image 2.2pour présenter les communautés du point de vue des habitants. Ces diaporamas seront également présentés au centre d’interprétation du parc national Tursujuq. Les écoles se sont également montrées intéressées pour s’en servir comme matériel pédagogique.

Une première présentation a été organisée à Kuujjuarapik et Whapmagostui, comme le montre l'image 1. Le diaporama concernant ces communautés a été présenté le mercredi 3 février 2016 au Triple Gymnasium de Kuujjuarapik. Près d’une trentaine de personnes, Inuit et Cris sont venues pour visionner ce rendu tout au long de la soirée (cf. image 2). Les retours alors collectés ont été très positifs. Il a été proposé aux Cris présents d’ajouter de la musique crie au côté des chants de gorges Inuit déjà intégrés au film, ce qu’ils ont accepté volontiers.

Une deuxième présentation (invitée par parc Nunavik) a été effectuée le jeudi 4 février devant le Comité d’Harmonisation du parc national Tursujuq regroupant à la fois des acteurs clés de la municipalité de Kuujjuarapik, du Bande Office de Whapmagoostui, de la municipalité d’Umiujaq et d’Inukjuak, ainsi que des agents de parc Nunavik et du ministère des Parcs de Québec (cf. image 3). Une fois encore la présentation du diaporama/film a reçu de nombreux retours positifs. Il a été alors été décidé que ces rendus seraient traduits en Inuktitut et en Cri (la traduction tant assuré notamment avec l’aide de Park Nunavik) et que la musique crie et les chants de gorges Inuit image 3.3intégrés seraient également un moyen de promotion des artistes locaux du Nunavik. Un musicien Cri s’est alors proposé.

A Umiujaq, deux projections ont eu lieu le lundi 9 février à l’école Kiluutaq, présentant le diaporama concernant cette même communauté. La première présentation a eu lieu à 13H30 devant tous les enfants de l’école (cf. photo 4). Lors de la diffusion du diaporama, de nombreuses réactions étaient perceptibles dans la salle, notamment face aux photographies d’animaux et de coucher de soleil. Les enfants réagissaient également lorsqu’ils reconnaissaient un nom de quelqu’un de leur famille. Une deuxième présentation pour les adultes a eu lieu le lundi soir de 18H à 20H. Malgré la tempête à l’extérieur, une vingtaine d’adulte a bravé le vent pour venir voir le film, les aînés restant regarder jusqu’à trois fois la projection. Lors de ces projections, l’école et la maire d’Umiujaq, ont demandé qu’en plus d’une version en anglais et en inuktitut, une version en français du diaporama soit éditée pour s’en servir comme matériel pédagogique et aussi pour présenter la communauté aux touristes francophones suite à l’expérience des premiers touristes venant visiter la communauté à l’été 2015.

Une troisième projection a été effectuée le mercredi 11 février exclusivement pour l’équipe du parc. La version finale des films incluant la musique demandée par les communautés et les traductions en cri, inuktitut et français ont depuis été délivrées aux communautés. Une version des films a également été présentée lors de l’exposition muséographique Nunavik, en terre Inuit montée par le musée dauphinois à Grenoble en France. image 4.4Le diaporama en question se trouve en pièce jointe de cette page projet. 

b) Second volet: à partir de 2016

Trois films ont pour le moment été réalisés avec les jeunes lors d’ateliers vidéos  (cf.figure 1) organisés en coopération avec les écoles, afin de travailler sur la vision du territoire par les jeunes.

Le premier atelier vidéo a été mené avec l’école Badabin auprès des Cris de Whapmagoostui au printemps 2016. Les élèves ont alors choisi de faire un film sur la "cérémonie des premiers pas", cérémonie organisée pour introduire un nouveau né au territoire et à la communauté. Cet atelier a notamment permis de tester le protocole méthodologique adopté et de l’affiner.

Figure 1

Le deuxième atelier a été mené avec l’école Asimauttaq de Kuujjuarapik (2016) où les élèves Inuit ont souhaité parler des campements utilisés pour les activités traditionnelles. Le troisième atelier a eu lieu avec l’école Arsaniq de Kangiqsujuaq (2017). Les élèves ont souhaité présenter les pratiques de chasse et pêche et leurs activités liées telles que la couture.

La vidéo est un outil créatif, permettant l’expression personnelle et le développement de réflexion critique de la part des jeunes qui contrôlent l’ensemble du processus après quelques séances d’entrainement et de formations à l’outil (cf. image 5 et 6).

image 5 6.2

Ainsi, ce sont eux écrivent le scénario, filment les images, les sélectionnent, réalisent la bande son et font le montage (Cf image 7 et 8).

image 7 8.2

image 9.2Les jeunes deviennent eux– mêmes collecteurs de savoirs et interprètes de ces savoirs ce qui les mets dans une position de néo-chercheurs co-construisant les savoirs avec les chercheurs académiques, permettant de la sorte une décolonisation de la recherche. Elle a ainsi encouragé les jeunes à se tourner vers les ainés pour acquérir des connaissances. Cet outil respecte par exemple le mode de transmission de connaissances traditionnelles basés sur la narration d’histoires orales mais ouvre également des espaces pour de la création plus contemporaine et moderne comme l’écriture et la réalisation de musiques électronique par les jeunes (cf. image 9).

La vidéo donne enfin un point de vue de l’intérieur permettant d’aborder des sujets difficilement abordables ou compréhensibles par d’autres méthodes de recherche (appréciation de la relation holistique à l’environnement). Enfin, cet outil présente un avantage certain pour la réappropriation des données et du livrable par les communautés. Ainsi, les courts-métrages sont laissés immédiatement aux communautés qui peuvent s’en saisir comme moyens de communication / présentation … (cf. Image 10). Le village de Kuujjuarapik a mis en avant le court métrage réalisé par les jeunes de la communauté lors de l’inauguration de la salle de cinéma récemment construite. Les chercheurs ignoraient cette projection et en ont entendu parlé que quelques mois plus tard au détour d’une conversation apprenant que cette projection communautaire avait suscité l’engouement au sein de la communauté en raison de la mise en valeur du travail des jeunes. Cette vie du court métrage une fois que les chercheurs image 10.2sont partis de la communauté montre l’appropriation par la communauté du travail réalisé.

 

II) L'équipe du projet "NUNA": 

Le programme "NUNA" est le fruit d'une forte collaboration entre un corps de trois chercheuses - Laine Chanteloup, Fabienne Joliet et Thora Herrmann - et les écoles, organismes locaux, membres des communautés et plus principalement les étudiants, Inuit et Cris, sur place. 

Profil de Laine Chanteloup

Profil de Fabienne Joliet

Profil de Thora Herrmann

 

III) L'histoire du projet "NUNA": 

Le programme de recherche "NUNA" tel que présenté ici résulte d'un parcours ayant débuté dès 2008. En d'autres termes, d'autres programmes de recherches l'ont précédé, tous fincancés par des associations de centres de recherche différentes. Il est alors important de pouvoir suivre quelque-peu le cheminement de ces projets, leurs tenants et aboutissants. Les pages de ces projets sont ainsi mises en lien ci-dessous. 

Voir la Page Projet 2018

Voir la Page Projet 2017

Voir la Page Projet genèse 2015 ("Tursujuq: un parc national, plusieurs paysages? Celui des Inuit, des Cris et des visiteurs", Fabienne Joliet) 

 

Pièces jointes